"Il est difficile de trouver un vrai pizzaiolo"
Il Campionissimo © Gino Toniolo
INTERVIEW – Maître-instructeur chez Il Campionissimo, école italienne de pizzaïolo à Paris, Gino Toniolo est le créateur de la pâte vice-championne du monde en 2009. Il nous explique ce qu'est un vrai pizzaiolo. Forza pizza sur Humanvibes !
Vous êtes diplômé de l’école italienne de pizza. Pourquoi vous êtes vous particulièrement intéressé à ce produit ?
J’ai un parcours assez atypique. Personne dans ma famille n’avait un lien particulier avec la restauration. J’étais commercial dans le milieu de l’automobile chez Renault, Volkswagen, et puis à 40 ans ; remise en question. J’en ai eu marre… J’ai des origines italiennes par ma mère, et j’avais envie de me rapprocher de l’Italie avec un produit à consonance italienne via la restauration. La pizza a été comme une évidence en ayant pour objectif de devenir pizzaiolo. Avec ma femme de l’époque, nous avons décidé de reprendre une pizzeria en 2003 à Crest-Voland, en Savoie.
En conséquence de quoi, il fallu tout apprendre …
Absolument ! Nous venions de nulle part, la restauration et pizzaiolo cela ne s’improvise pas, c’est un vrai métier. J’ai été formé par l’ancien propriétaire italien de la pizzeria pendant 2 mois en pensant qu’il avait de grandes compétences à tous les niveaux. Finalement, il en connaissait le minimum syndical, et cela ne correspondait pas à ce que l’on souhaitait faire.
Comment avez-vous progressé ?
J’ai découvert qu’il existait tous les ans en avril un championnat du monde de pizzas dans la station thermale de Salsomaggiore, à une trentaine de kilomètres à l’ouest de Parme, en Italie. Et après y avoir participé pour la première fois en 2005, je me suis aperçu que nous étions très mauvais, plus jamais ça ! J’ai donc fait de nombreuses formations en Italie, tout en nous présentant au concours tous les ans. Moi, à la fabrication de la pâte, ma femme à la réalisation de la pizza. Nous avons gravi les échelons peu à peu en se prenant au jeu. Nous avons pu nous hisser à la 30ème place, ce qui est déjà bien parmi 500 candidats, mais nous avions quand même le sentiment de stagner.
Sauce tomate "Gino", mozzarella di bufala, poivre de Sichuan, tomates cerises et basilic © Marc Bélouis
Et puis en 2008, c’est la bascule !
Nous ouvrons cette année-là notre second restaurant Il Campionissimo rue Montmartre dans le 2ème, après s’être séparé du premier à la montagne. Toujours dans le but de s’améliorer, nous avons inventé la pizza haut de gamme « gourmet ». Du foie gras poêlé et pané à la noix, enrobé de jambon de Parme, chutney de figues, poires fraîches, mozarella et copeaux de parmesan, le tout sur un lit de roquettes. La pizza d’anthologie ! [Rires.] Si l’on dépasse trois ingrédients pour une pizza, c’est long et difficile à mettre au point. En novembre 2008, nous avons enfin trouver le bon équilibre gustatif.
Quel a été l’accueil de vos clients pour cette pizza originale ?
Nous la vendions début 2009 dans notre établissement aux alentours de 26-27€. Nos clients n’avaient pas l’habitude de mettre aussi cher dans une pizza ! Et puis, peu à peu, ils s’y sont faits, et cela a très bien fonctionné.
Quand Alain Ducasse parle de vous, ça fait plaisir © Marc Bélouis
Et c’est avec cette pizza que vous avez participé à nouveau au concours ?
Oui. Et nous finissons vice-champion du monde ! D’un coup, c'est une consécration ! La presse parle de nous, et Alain Ducasse en 2011 nous mentionne parmi ses 200 meilleures adresses dans son guide gourmand « J’aime Paris ». Nous sommes alors entrés dans une autre dimension !
La pizza est inscrite au patrimoine culturel immatériel de l'UNESCO le 7 décembre 2017, elle est le plat le plus consommé au monde. Pourquoi d’après vous ?
Parce qu’une vraie pizza est impossible à réaliser correctement en dehors d’une pizzeria, notamment à cause du four. En tant que formateur avec mes compétences, je les fais cuire dans un four professionnel. La pizza est un produit populaire qui rappelle tout le folklore de l’Italie. Les grandes marques comme Ferrari, Gucci, l’accent, la musique, le Chianti etc. On peut la décliner de mille et une façons comme les pâtes, le risotto, que toutes les familles se sont emparées historiquement avec les moyens du bord.
La pizza, c'est donc du sérieux…
Pour faire une bonne pizza, il faut une bonne pâte, et seul le pizzaiolo en est capable. Ici les élèves s’aperçoivent que c’est difficile à bien maîtriser. Mon livre de formation fait 140 pages, c’est très technique ! Il faut comprendre le pétrin, les farines, le four, savoir innover, être créatif, et je me répète le point cardinal de tout cela, c’est le pizzaiolo ! On a cru que la pizza était un job d’été, mais c’est une image d’Épinal des années 80-90 qui a tendance à disparaître, maintenant on a intégré qu’il fallait un niveau de compétences élevées similaires à un chef ! C’est pourquoi il est difficile de trouver un vrai pizzaiolo.
Vous convoquez donc la grande cuisine avec de la pizza ?
Bien sûr. À la base le pizzaiolo n’était pas cuisinier. Il était considéré comme un boulanger, ce n’est pas la même chose. Maintenant nous mettons en avant la cuisine, 80 % d’une bonne pizza est due à la pâte, après il faut s’assurer d’avoir de bons ingrédients, bien les préparer, sinon ce sera médiocre.
Faire une bonne pizza n'est pas donnée à tout le monde sauf…si l'on suit la formation © Marc Bélouis
En quoi votre pâte est-elle différente des autres ?
Aujourd’hui il y a deux approches de la pâte à pizza. Celle du jour classique, dite napolitaine pétrie le matin pour être mangée le midi, très alvéolée, très gonflée. Elle est cuite en très peu de temps voir pas cuite, car la température du four dépasse les 450 degrés. Au bout d’une minute, une minute trente, vous êtes obligé de la sortir pour éviter qu’elle ne soit carbonisée. Ma pâte a du goût parce qu’elle est maturée pendant 3-4 jours, ce qui lui donne l’appellation de « gourmet ». Sa fermentation ne vous restera pas sur l’estomac. Elle est cuite en 4 minutes trente à 305 degrés. Ce croustillant à la sortie du four fait toute la différence avec la napolitaine Mais… j’avais encore des interrogations, je ne me suis pas contenté de la seule maturation… [Sourire]
C’est à dire ?
J’ai contacté des ingénieurs de l’Institut national de la recherche agronomique en leur posant des questions bien précises sur l’élaboration de la pâte. Un des leurs m’a donné les réponses à mes questions, ce qui en fait sa spécificité que je garde secrète ! Ceci-dit, je l’ai faite évoluer depuis une quinzaine d’années, je l’ai encore améliorée en décembre dernier. Je travaille par petites touches sur la digestibilité, sur la levée, qui ne seront peut-être pas perçues par les consommateurs mais qui ont de l’importance à mes yeux.
Vous êtes maître-instructeur, vous assurez la formation de pizzaiolos avec votre « Scuola Italiana Pizzaioli Paris ». Quelle est sa particularité ?
Je suis la seule franchise française de l’école italienne sur Paris depuis 2010. Une seconde vient d’ouvrir à la Seyne-sur-mer. Nous avons une méthode aboutie qui a fait ses preuves dans le monde depuis 1988 en formant des centaines et des centaines de pizzaiolos qui ont fait la réputation de cette école. Nous sommes surbookés ce qui a eu pour conséquence l’arrêt de la petite restauration que nous faisions ici pour se concentrer sur la formation, qui est certifiée Qualiopi avec à la clé un certificat de qualification professionnelle.
Vous êtes aussi incubateur en pizzeria. Vous accompagnez des futurs restaurateurs à ouvrir leurs établissements ?
Oui. Au total, nous avons ouvert 3 restaurants. L’école est ma 4ème affaire et il y a les bonnes et les mauvaises expériences. Ces dernières me servent pour faire du consulting pour aider les élèves à monter leur affaire s’ils le souhaitent. Nous les accompagnons le plus objectivement possible, en apportant de la plus-value dans la mise en place d’un établissement de A à Z pour éviter les surprises.
Sucre, pâte de noisettes et sucre glace © Marc Bélouis
À quoi ressemblera la pizza dans 100 ans ?
Aujourd’hui il y a de meilleures farines qui sortent. Le minotier fait la « fashion week » de la pizza ! C’est par sa recherche et sa connaissance de la transformation du blé en farine qu’il va participer à l’essor du produit en trouvant de meilleures cultures. Il faut essayer de trouver quelque chose de plus light car dans 100g de pâtes, on trouve 500 à 600 calories ! Pour l’instant nous ne sommes pas capables de comprendre l’ADN d’une pâte qui mature car elle évolue sans cesse. Sans compter qu’en fonction des types de pétrins utilisés, les résultats sont différents. Dans 100 ans, une pizza sera mieux comprise chimiquement et mécaniquement.
Et la pizza avec de la garniture sucrée, comme le chocolat. Vous en pensez quoi ?
Je n’en pense que du bien. Il n’y a pas d’arbitraire dans une pizza, il faut qu’il y ait de la créativité. Sucré, salé, le pizzaiolo doit mettre en musique tout les produits à sa disposition. On peut travailler une pizza avec des épices en pensant à la choucroute, le cassoulet, pourquoi pas ? Tout cela par petites touches en trouvant le bon équilibre, bien sûr.
Et quels sont vos projets ?
Je travaille sur la vente de pizzas à la part dans un très grand concept store de restauration, je pense que c’est le bon format en devenir. Ce sera avec une pâte gastronomique, très légère, avec des produits pochés dessus, très chics, très élégants. Le lieu s’y prêtera parfaitement bien, cela existe déjà en Italie depuis des années.
Une question à laquelle vous auriez aimé répondre et que je ne vous ai pas posée ?
Ce que je dirais en deux mots à une personne qui souhaite devenir pizzaiolo ? Passion et courage. La restauration est un métier difficile, et si vous n’êtes pas passionné, c’est une double peine. J’ai 62 ans, je travaille encore parce que je ne pourrais pas me défaire de cette activité. Nous allons nous lancer dans une formation sur 2 jours destinée aux particuliers pour apprendre à faire d’excellentes pizzas chez soi. Il faudra s'équiper du matériel adapté (plaque de cuisson, pelle à pizza, plat, roulette, à 150€ chez Gino, NDLR). Par contre, la pâte sera beaucoup plus hydratée pour être cuite dans un four domestique. Vous voyez, je n’arrête pas !
Propos recueillis le 22/03/2022
Et pour aller plus loin :
La page Facebook de Il Campionissimo.
La page Instagram de Il Campionissimo.
Quelques pizzerias avec des pizzaiolos qui ont suivis la formation de Gino Toniolo.
Amore & Basta d'Olivier, au 20 rue Bréguet 75011 Paris.
Renine de Sandrine, au 33 rue de Strasbourg 94300 Vincennes.
Ô Basilico d'Alexandra, au 896 rue Félix Faure à Caudebec-Lès-Elbeuf en Seine-Maritime.
La Jokonde d'Adrien, au 5 rue des cavaliers à Bourges dans le Cher.
La Pizzbook de Stéphane, au 26-34 rue des Arawaks, Le Diamant en Martinique.
La fabrication des pâtons à pizza par Sophie Passard, associée de Gino Toniolo.
Il Campionissimo (2022) – Humanvibes – YouTube
Où se trouve l'école de formation ? Au 59 Bd Voltaire, 75011 Paris
Il Campionissimo (2022) – Humanvibes – Google Maps
Galerie photos :
L'autolyse est une étape importante via le pétrin à bras plongeant où il se dégage des odeurs
de malte, d'huile d'olive et de levain © Marc Bélouis
Les fameux pâtons « gourmet » de 190g attendent leur heure…© Marc Bélouis
Les pâtons ont été surgelés à – 15 degrés en 1h30. Cela évite la cristallisation
à l'instar de la congélation © Marc Bélouis
La sauce tomate "Gino" pour agrémenter un pâton « gourmet » © Marc Bélouis
Chez soi, il faut se procurer la plaque de cuisson, la pelle à pizza, le plat, la roulette
+ une pâte adaptée pour se lancer en tant que vrai pizzaiolo ! © Marc Bélouis
Farine de blé tendre Manitoba 5 Stagioni de type 00, c'est la farine la plus utilisée
en Italie par les pizzaioli et les boulangers © Marc Bélouis
Marc / Humanvibes
Publié le 14/04/2022