Humanvibes vous recommande : "La jeune fille au chevreau" de J.F.Roseau

 

 

    

La jeune fille au chevreau - J.F.Roseau - Editions de Fallois           J.F.Roseau - Photo © Valery Wallace / Studio Cyan

 

Si par le fruit du hasard, vous vous rendez dans le jardin d’une ville de province dans le Sud de la France, peut-être finirez vous par apercevoir un trio de statues callipyges nommées Les Trois Grâces...

Le nom du sculpteur ne vous dira rien : Carassin. Quasiment anonyme dans les archives de la ville, il apparaît comme donateur de ses trois œuvres en 1950. Puis, plus rien. Oublié. Cependant,  la ville s’enorgueillit de ses Trois Grâces en plein milieu du parc, entourées de fleurs et posées sur un élégant gazon à l’anglaise : "Ne partez pas s’en avoir fait un détour par le Jardin des Ruisseaux. Vous y découvrirez l’œuvre tout à fait étonnante de l’artiste Carassin (1915- ?). Trois sculptures en marbre faites d’un bloc représentent Les Trois Grâces, en hommage au peintre Raphaël", mentionne fièrement le Maire sur le site Internet de la ville.

Elles sont trois.

Au contraire de celles qui figurent dans l’œuvre de l'artiste italien, deux objets et une fleur remplacent la pomme dans leurs mains délicates : l’Artiste, un pinceau, la Danseuse, des ballerines, et l’Amoureuse, une rose. C’est ainsi que Carassin les a nommées :  la Danseuse sur la gauche est de face, la tête tournée sur le côté. l’Artiste, trône au milieu vue de dos, la  l’Amoureuse à droite est de profil. Hautes d'un mètre soixante-cinq chacune, elles se regardent avec une complicité qui fait plaisir à voir, comme si elles avaient de nombreuses choses à partager. On peut passer devant ces femmes dénudées sans les remarquer, mais alors il faut le faire exprès ! Mais ceux ou celles un tant soit peu intéressés par l’Art, s’y arrêteraient sûrement en y jetant un œil plus avisé. L’observateur y décèle un ensemble glamour harmonieux plein de charme, de volupté, et chargé d’érotisme.

C’est le cas d’un garçon d’une quinzaine d’années, qui semble plus que les autres y montrer une attirance particulière. Il faut dire que vu l’activité du jeune homme, cela est tout à fait normal : il fait partie de la cohorte de jardiniers employés par la ville en tant que stagiaire depuis six mois, il a été désigné avec grand plaisir pour s’occuper des fleurs d’ornements qui entourent les statues.

Il couve du regard ses belles endormies.

Il en connaît maintenant les moindres recoins.

Elles sont trois.

Il lui arrive régulièrement de passer une main timide sur leur corps. Il en ressent toutes les aspérités, les moindres   causées par le soleil et la pluie. Mais, le marbre a vieilli. La mairie a décidé de les rénover. Il est prévu prochainement d’installer un échafaudage en vu d’entamer une réfection sur place. Elles vont disparaître de la vue des passants pendant quelques mois. Au grand désarroi du jeune jardinier. En attendant, il se console comme il peut et prend soin de ses narcisses, œillets, marguerites, tulipes et autres jacinthes dont il a la charge, qui forment un bel ovale fleuri et parfumé entouré des trois belles. Il possède deux sacs qu’il ne quitte jamais. L’un qui contient ses outils de jardinage, et l’autre, une vieille besace marron achetée chez un antiquaire pour presque rien : dans celle-ci, on trouve un livre qui s’intitule La jeune fille au chevreau de Jean-François Roseau aux Editions de Fallois... Mais qui s’approche un peu plus près de lui,  s’aperçoit que ce jeune homme se parle à lui-même, employé solitaire de la ville, un peu introverti, dont l'attrait pour l'Art issue de ses parents artistes, le maintenait constamment dans un état d’extrême sensibilité.

Elles sont trois.

Personne ne peut se douter que les trois femmes en marbre qui se tiennent fermement à cinq mètres devant lui,  combiné à sa lecture, a entraîné chez lui une tempête émotionnelle exacerbée comme jamais. Les monologues journaliers qu’il se tient à lui-même depuis qu’il a commencé le roman de Jean-François Roseau, ne sont pas perdus pour tout le monde : Les Trois Grâces semblent l’écouter, attentives à ses propos au sujet de son roman.

Mais approchons-nous, afin d’être le témoin secret des réflexions à voix haute du jeune jardinier.

Il commençe par louer les qualités d’écriture du romancier. Pensez-donc, Jean-François Roseau, jeune écrivain de 31 ans, a déjà publié quatre romans dont le prix du livre corse 2017 pour La Chute d'Icare et celui du prix François Mauriac 2017 de l’Académie Française toujours pour ce dernier, aux Editions de Fallois. C’est dire la qualité de l’écrivain ! La jeune fille au chevreau ? Un livre délicieusement raconté qui s’inspire d’une histoire vraie, tragique, pendant la Seconde Guerre mondiale : une nîmoise accusée - sans preuves réelles - à la libération d’intelligence avec l’ennemi et qui sera soumise à la vindicte populaire.

Il s’adresse à ses idoles.

Pourquoi délicieusement mes Trois Grâces ? questionne le jeune jardinier en passant la main sur l’épaule de l’Artiste. Parce que l’auteur sait manier les mots ! Il sait raconter une histoire avec délicatesse en utilisant un vocabulaire précis. On voit que les phrases ne sont pas là par hasard. J’appelle cela de la littérature haute couture ! Et puis, quelle romance ! fit-il en adressant un baiser à l’Amoureuse. Il y a une histoire d’amour ! Le jeune héros est subjugué par une statue La jeune fille au chevreau qui est une sculpture qui a existé : une adolescente nîmoise a été l’inspiratrice d’un artiste. C’est d’abord un coup de foudre artistique, avant de l’être humainement bien des années plus tard. La tension amoureuse qui s’installe est bien décrite. Et vous savez quoi mes belles ? Cela me fait penser au film Le Lauréat de Mike Nichols en 1967 avec Dustin Hofmann et Anne Bancroft. Il eut soudain dans la tête la célèbre chanson du film Mrs Robinson de Simon & Garfunkel. Il chantonna : "And here's to you, Mrs. Robinson / Jesus loves you more than you will know / Whoa, whoa, whoa". Il reprit. Si, si, je n’exagère pas. Le récit est poétique tout en étant ancré dans la réalité historique avec ses héros, ses lâches, ses bassesses, ses drames, ses joies. Quoi ? Qu’aurais-je fait en vivant cette triste période ? Vous me posez là une question à laquelle je ne veux pas répondre… Amoureux fou, oui, comme je le suis de vous, comme je le suis de ce roman, assurément oui, je le suis ! Faire passer cette émotion à travers une histoire historique qui n’a jamais vraiment livrée sa vérité, c’est un beau pari littéraire qui est réussi ! s’enflamme t-il !

Elles sont trois.

Il reprend son souffle.

Il regarde autour de lui.

Personne ne l’a remarqué partager son sentiment avec ses statues.

Il met la main dans sa besace, et comme pour se rassurer, il empoigne à l’aveugle le roman de Jean-François Roseau. Il est rasséréné. Est-ce la rosée du matin ou est-ce réel ? Une larme coule sur sa joue gauche de la Danseuse. Elle glisse sur son sein galbé et finit sa course lente dans son nombril. Le jeune jardinier regarde tour à tour Les Trois Grâces, puis baisse son regard sur son précieux objet littéraire, on devine derrière son sourire un instant de béatitude...

 

Et pour aller plus loin :

La page Facebook de Jean-François Roseau

La jeune fille au chevreau de Jean-François Roseau aux Editions de Fallois

 

L'épuration en France, période trouble au moment après la Libération

Les brûlures de l'histoire(1994) - L'épuration en France 1944-1953 - YouTube

 

Marc / Humanvibes

Publié le 12/11/20