
Épisode (6/7) de mon « avis novélisé » sur le roman « À retardement » de Franck Thilliez paru le 2 mai 2025 aux éditions Fleuve noir.
Le visage de Gabrielle était à cinquante centimètres de celui de Marius. Elle tremblait, sans pouvoir maîtriser les spasmes de son corps. Marius porta ses deux mains vers ses lunettes, puis les retira lentement. Elle fit un bond en arrière ! Horreur ! Il avait été victime d’une énucléation sauvage ! À la place des yeux, deux trous béants… qui laissaient entrevoir des fibres optiques et filaments de couleur rose et rouge. Gabrielle eut subitement une terrible nausée ! Elle se mit à vomir sur son carnet.
Marius semblait surpris.
– Mademoiselle Gab… Il s’arrêta net comme pétrifié.
L’esprit d’analyse de Gabrielle tentait de reprendre le dessus. D’un coup elle réalisait que Tobor n’avait jamais été un humain, mais un robot humanoïde ! Tout en s’essuyant la bouche avec son mouchoir, elle porta à ses lèvres son gobelet et bu, complètement sonnée, l’eau au goût caoutchouté.
La porte de la salle de contrôle s’ouvrit.
– On arrête tout ! Nous venons de le mettre sur pause, lança le professeur Hervé Topaze, responsable du programme d’intelligence artificielle du CMMS. Derrière lui, son adjointe Michèle Serin qui le suivait comme une ombre, l’infirmier et Josette qui se dirigeaient vers l’étudiante encore sous le choc.
– Bon, bravo Gabrielle, s’exclama enjoué Hervé Topaze, vous avez bien maîtrisé la situation ! Afin de garantir votre spontanéité et la validation de l’expérience, il était essentiel que vous ne sachiez pas que Marius n’était pas humain, fit-il en regardant la table d’un air dégoûté. Bon, nous avons le temps, il reste encore 82,97 % de puissance à la super batterie lithium du MB64. Passons au test téléphonique.
Le professeur tapota quatre fois d’un geste assuré sur sa mini tablette.
– Voilà… Marius va être de nouveau opérationnel. Bouton « ON » activé dans douze secondes, avec connexion automatique à la téléphonie, confirma-t-il. 10, 9, 8, 7, 6, 5, 4, 3, 2, 1. Go !
99 99. Le numéro a été composé. Le professeur Hervé Topaze était concentré. Pour la suite des évènements, il fallait absolument que Marius puisse communiquer correctement lors d’un échange téléphonique surtout après ce qu’il venait de se passer avec Gabrielle. Comment allait-t-il se comporter ? A la troisième sonnerie, une voix se fit entendre.
– Bonjour, je m’appelle Vincent Albec, je suis à votre écoute. Le centre d’appel SOS AssistVie est là pour vous aider et vous orienter vers des professionnels de la santé, du médical ou du social, en fonction de l’aide que vous recherchez et que j’estimerais en adéquation avec votre demande. Parlez sans crainte et sans contrainte. En quoi puis-je vous aider ?
– …
– Allô… Il y a quelqu’un ? Vous m’entendez ? interrogea Vincent.
– Oui… Je suis Marius. Marius Tobor.
– Bien ! Je vous écoute monsieur Tobor.
– J’ai peur de faire une bêtise.
– Une bêtise… C’est-à-dire ? Et parlez un peu plus fort, s’il vous plaît.
– T’es sourd ? Tu te prends pour qui pour me parler comme ça, pour d’Horsak ?
Un souffle curieux sortit de l’écouteur du téléphone, et laissa une drôle d’impression au bénévole retraité. Coûte que coûte, il devait essayer de conserver le contact comme on lui avait enseigné lors de sa formation.
– Je vous en prie… C’est normal, prenez votre temps, se reprenait-il maladroitement, en répondant un peu à côté – comme il le confirmera plus tard, en faisant le point avec son supérieur. On l’avait prévenu. Dans cette activité bénévole, on était amené à gérer parfois des situations délicates. C’était fait. Cela prenait effectivement des allures de situation délicate.
– … J’vais mal. Vous comprenez ? J’vais mal, j’vais MAL ! J’VAISMALJ’VAISMAL ! explosa soudainement Marius sur diverses intonations caverneuses au bord de l’hystérie.
Vincent encaissa de plein fouet comme un uppercut la réplique de son interlocuteur. En moins d’une minute, il était déjà dans les cordes.
– Heu… Heu… Calmez-vous monsieur Tobor, s’il vous plaît…Heu…je peux vous appeler Marius ?
– PAS POSSIBLE ! RENDEZ-LE MOI ! Mal, mal, mal, MAL, MAL MAL ! J’VAIS TE TROUER ESPÈCE DE SALOPARD !
– Oh non, mon Dieu ! je vous en prie… pourquoi, pourquoi me dire ça… souffla Vincent, paniqué.
A ce moment-là, le professeur Topaze prit la décision d’intervenir, après avoir préalablement mis Marius sur « OFF ».
– Monsieur Albec, vous m’entendez ?
– Qui parle ?
– Bonjour monsieur Albec, je suis le professeur Hervé Topaze du Centre médical Marjorie Strondheim. Ne quittez pas, mon adjointe va tout vous expliquer, nous étions en train de réaliser une expérience in situ, si j’ose dire, soyez rassuré, tout va bien. Je vous remercie beaucoup pour votre collaboration indirecte, vous nous avez été d’une aide précieuse.
– Bi…Bien, je ne quitte pas…
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© Marc Bélouis