
Épisode (5/7) de mon « avis novélisé » sur le roman « À retardement » de Franck Thilliez paru le 2 mai 2025 aux éditions Fleuve noir.
Gabrielle déglutit pour la première fois avec difficulté.
– De quel objet parlez-vous ? Si c’est faisable, en fonction de mes prérogatives et du règlement intérieur, ce sera avec plaisir, bien évidemment.
– Ah le règlement… Pfffouff… soupira-t-il en secouant la tête.
Gabrielle fit fonctionner ses cellules grises à plein régime. Mais bon sang, où avait-elle dernièrement entendu cette voix si particulière ? Elle écrivit deux points d’interrogation devant le mot voix dans son carnet. La tension était palpable et montait d’un cran.
– Dans la bagagerie, non loin de ce que j’appelle avec poésie « ma chambrette de villégiature », la Direction s’est octroyée le droit de me confisquer il n’y a pas si longtemps mes effets personnels. Montre, portable, clés, agenda, portefeuille et… surtout un excellent livre que j’avais commencé à lire avant d’arriver ici et que j’aimerais finir dans les meilleurs délais, voyez-vous. Tous ces objets sont dans un coffre. Rusé comme je suis, j’ai réussi à mémoriser le code à l’insu d’un gardien imprudent lors du dépôt, mais, chut… se désola-t-il en tournant la tête vers la glace en signe de provocation. Problème, je ne peux plus accéder à la bagagerie, sauf quand je quitterai cet établissement, ce qui n’est pas pour tout de suite, n’est-ce pas ? Trop difficile pour un pensionnaire comme moi, murmura-t-il en souriant de façon malsaine.
Il se mit à réfléchir et trouva encore le moyen d’avancer son corps un peu plus loin sur la table. Gabrielle ignora volontairement d’être surprise par la stupéfiante information que celle du code. Il savait qu’il était écouté, où voulait-il en venir ? Elle essaya tout de même de se montrer positive.
– De prime abord, je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas possible, je vais donc appuyer votre demande auprès de la Direction.
– La Direction ? Celle qui nous regarde derrière cette glace ? Tttttttt… Enfin, Mademoiselle Gabrielle, je ne suis pas idiot, souligna-t-il. Écoutez-moi bien, je vais le répéter comme le ferait un robot pour que cela entre correctement dans vos charmantes petites oreilles, et notez-le aussi dans votre carnet que vous avez souvent noirci depuis le début de notre entrevue.
Il prit sa respiration.
– Je-veux-récupérer-le-dernier-roman-de-l’auteur-Franck-Thilliez-intitulé-« À-retardement » aux-éditions-Fleuve-noir-dont-la-couverture-est-une-cellule-capitonnée-pour-les-fous-mademoiselle-Gabrielle.
– J’entends bien, Marius, mais ce n’est qu’un roman après tout. Quand on y réfléchit, je m’attendais à quelque chose de plus important, disons comme un bijou, une montre, une photo, ou un agenda… Et de quoi parle ce livre pour qu’il soit si important pour vous ?
– C’est un brûlant thriller qui évoque la folie… Et plus précisément la schizophrénie sous différentes formes, amusant, non ?
– Si l’on veut… se montra étonnée l’étudiante. Je penserai à me le procurer, merci.
– Mademoiselle Gabrielle… j’ai le sentiment que vous n’avez jamais lu de Franck Thilliez, je me trompe ?
– Heu… Non, c’est exact. J’en ai déjà entendu parler mais, je n’ai pas encore franchi le pas. Je crois savoir que son univers est assez noir et tortueux, du genre à hanter vos nuits…
– Noir ? Mademoiselle Gabrielle, vous êtes très, très loin du compte… Thilliez visite les ténèbres de l’âme humaine comme personne. Avez-vous une idée de ce qu’est vraiment la couleur noire des ténèbres ?
Marius leva délicatement l’index de sa main droite comme celle de Dieu vers Adam dans La Création d’Adam de Michel-Ange. Il sembla alors entrer dans une sorte de transe, mais comme d’habitude le ton était résolument calme avec cette voix qui troublait tant l’étudiante.
– En fait, non. Avez-vous plutôt une idée de ce qui est beaucoup plus noir que les ténèbres ? Je l’ai touché du bout du doigt lors des cinquante premières pages, mais j’en veux encore bien plus ! Et ce serait quoi, d’après vous ?
Gabrielle fit la moue, et leva les mains en signe d’ignorance.
– Le Vantablack ! triompha Marius. Attendez, je vais vous éclairer. Le Vantablack, n’est pas une couleur à proprement parler, non, mais un revêtement fait de nanotubes de carbone. Il est reconnu pour sa capacité à absorber 99,965 % de lumière visible, ce qui en fait l’un des pigments les plus sombre jamais développé, c’est fabuleux ! Le plus sombre, vous comprenez ce que cela induit ? Le noir ultime et absolu. Je suis certain que Franck Thilliez va entrer dans l’histoire de la littérature policière comme premier auteur d’un roman Vantablack d’exception, par son histoire, sa structure et ses personnages ! Allons plus loin, et retenez bien ceci : « À retardement » va priver à jamais le monde littéraire de lumière… Une éclipse totale ! Je sens le Vantablack ! Il est là, à ma portée !
Gabrielle ressentit au plus profond d’elle même l’extrême exaltation de Marius.
– Hmm, que cela va être bon… Je veux m’y plonger, m’y baigner, m’y abandonner, m’en imprégner de tout mon être, de toute mon âme, et le faire pénétrer dans chaque pore de mon corps… Je veux absorber chaque mot pour me nourrir du Vantablack de Thilliez ! Mieux, je veux lire ses soixante douze chapitres, puis manger une par une ses quatre cent cinquante six pages avec gourmandise ! Un vrai délice en perspective ! Mais pour cela, il me le faut absolument. Vous comprenez l’urgence de ma situation ? Et par ricochet l’urgence de la vôtre ? Je vous le répète. Je suis prêt à faire des pieds et des mains pour le récupérer, prévient-il, tout en se projetant soudainement vif comme l’éclair au-dessus de la table en direction de Gabrielle.
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© Marc Bélouis