
Épisode (3/7) de mon « avis novélisé » sur le roman « À retardement » de Franck Thilliez paru le 2 mai 2025 aux éditions Fleuve noir.
Bonjour à tous les deux ! Bienvenue au CMMS, l’épicentre de la folie ! lance Josette Hirsch d’un ton jovial. Docteur psychiatre, c’était l’une des référentes universitaires du Centre, chargée notamment d’accompagner certains étudiants en fonction de leur spécialité. Josette les enjoignit de la suivre vers l’ascenseur tout en transparence qui se fondait dans le paysage, après avoir pris soin de vérifier les identités de chacun.
– Bon, le timing est tendu aujourd’hui, déclara d’emblée Josette. Nous n’aurons pas trop le temps de faire une visite approfondie du ciboulot, comme on le nomme entre nous. Ils pénètrent rapidement dans l’étonnant bâtiment.
– Entendu, rétorqua Gabrielle.
– Bien ! Comme vous pouvez le voir, le CMMS a été construit comme un cerveau. Les spécialités sont réparties dans quatre grands secteurs : frontal, pariétal, temporal, et occipital, pour finir par le cervelet plus bas, au bout duquel est fixé le phénoménal et unique tube d’acier et carbone qui supporte tout l’édifice à lui seul dans lequel se situe l’escalier de secours. Gabrielle, vous allez travailler dans la partie frontale où se trouve, entre autres, le service ultra sécurisé de la schizophrénie. Vous serez en mode situationnel, précise Josette.
– Jean-Baptiste, vous ne pourrez pas faire comme Gabrielle, comme je vous l’ai dit par courriel avant-hier. Mais, je vais quand même vous mettre sur un sujet intéressant. Vous savez manier la pelle ?
– Pardon ? s’étrangla Jean-Baptiste.
– Bah oui, quoi, faut bien creuser en bas du terril pour la future résidence étudiante, non ?
Silence…
– Je plaisante, Jean-Baptiste, fit hilare la référente. Vous savez ici on aime bien rire pour se changer les idées, c’est primordial, surtout pour ceux qui travaillent avec les malades, fit-elle tout à coup d’un air plus grave. Non, je vous rassure, je vous ai mis dans l’unité Odoragououi du temporal.
– Odo quoi ? s’étrangla à nouveau l’étudiant
– Odoragououi pour Odorat, Goût, Ouïe, c’est passionnant ! s’amusa-t-elle encore.
– Bien madame, merci, c’est « entendu », c’est « bon ». Je la « sens » bien cette journée, acquiesça avec répartie l’étudiant dans un sourire qui se voulait complice avec Josette.
Ils passèrent devant la grande cafétéria, où il était affiché sur la baie vitrée une pancarte détaillant l’animation musicale du jour : « Le coin des musicos » spécial Pink Floyd de 10 heures à 14 heures. Le trio se sépara peu après avoir traversé de nombreux couloirs labyrinthiques, où régnait un froid sec. Dans l’un d’eux, trônait le buste de Solea Meier en Marbre Lunel des carrières du Boulonnais. La référente, introduisit Jean-Baptiste dans son service d’étude, puis Josette et Gabrielle reprirent leur chemin.
– Bon, Gabrielle, passons aux choses sérieuses sur lesquelles nous nous sommes mises d’accord il y a trois mois. Dans le service de la schizophrénie, je vous rappelle que vous allez entrer en relation avec un patient, disons… hors normes et dangereux mais sous surveillance étroite, bien sûr. Vous avez conscience de participer à une expérience qui fera date, j’espère ?
– Certainement ! C’est très motivant.
– OK. Le service est sur votre droite. Préparez-vous à entrer chez « Disneyland », en clair les dingos comme elle le précisa, sourire aux lèvres. Ne vous méprenez pas Gabrielle, loin de moi l’envie de me moquer des malades, d’ailleurs ce sont eux- mêmes qui ont baptisé leur secteur « Disneyland », ils savent aussi s’amuser et se mettre parfois au diapason de nos plaisanteries. Bien. vous allez entrer dans la salle Strondheim dans laquelle un patient va vous être présenté. Vous trouverez son dossier de douze pages recto, que je vous invite à consulter consciencieusement. Vous avez quarante cinq minutes. Je vous encourage vivement à le mémoriser. Vous faites du théâtre depuis cinq ans, je l’ai remarqué dans votre CV, cela devrait vous aider. Chaque détail compte. Vous trouverez sur la table un carnet, non pas avec un stylo car cela peut-être une arme redoutable pour un malade en crise qui s’en saisirait, mais un surligneur vert fluo à gros bout rond pour prendre des notes, et un petit verre d’eau en caoutchouc. Ah, j’oubliais ! vous me remettrez votre portable, votre montre et votre sac à dos. Rien dans les poches ? Bien.
– Pas de surveillant présent dans la pièce ? questionna Gabrielle, tout en se délestant de ses effets personnels auprès de Josette.
– Non, mais à côté de la salle, nous serons dans l’espace surveillance. Il y aura le responsable du service, son adjointe, un infirmier et moi-même derrière la traditionnelle glace sans tain, et quatre écrans de contrôle connectés aux caméras HD de la pièce. Pas de panique. En cas de problème, nous interviendrons immédiatement et nous stopperons l’expérience. Le but est d’analyser comment vous allez réagir face à un malade sévère, idem pour le patient vis à vis d’une nouvelle interlocutrice. Ne vous laissez pas déstabiliser en aucune manière. Montrez-vous SEC !
– Oui, je sais, on nous le rabâche sans cesse à l’université lors de nos ateliers collectifs. Sobre, Efficace et Créatif, fit-elle sur un ton scolaire.
– Absolument ! La théorie, c’est sympa. Mais là on passe à la pratique ! Vous allez entrer dans une autre dimension, croyez-moi. Il y a plus d’un étudiant dont la gestion du contexte a été délicate après coup. « Je gère », fanfaronnaient-ils. Ils ont plutôt géré leur dose de Lexomil pendant leur arrêt maladie, et ce durant plusieurs mois. Enfin, les risques étaient bien identifiés dans le contrat qu’ils avaient signé préalablement.
– C’est noté, Josette. J’ai même signé en plus une clause de confidentialité pour l’entretien de ce matin, alors…
– Elle est obligatoire, vu les circonstances. Allons droit au but, nous ferons les présentations plus tard avec l’équipe.
Josette installa Gabrielle dans la salle Strondheim, puis elle s’absenta. L’étudiante était désormais livrée à elle-même. Elle s’assit sur un tabouret tamtam caoutchouté de couleur grise peu confortable pour le dos, s’empara du dossier, un peu nerveuse malgré tout, avide d’en savoir plus sur son malade.
Première page. Le patient se nommait Marius…
À suivre…
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© Marc Bélouis